Le prince et la pucelle

Il était une fois,  loin loin très loin d’ici, un pays du nom de Nowaire.

Pour s’y rendre, il fallait cheminer à travers plaines, montagnes et plateaux, franchir de larges fleuves tempétueux, des marécages aux dangers sournois, de vastes forêts que jamais l’homme ne traversait sans frémir. Pourtant, ce pays était riant, à l’écart des grandes caravanes, protégé de l’avidité par sa position excentrée. Y vivait alors un jeune prince, un certain Mac Machin, que ses sujets avaient, en toute confiance, laissé accéder au trône en raison de sa bonne mine. En ses discours il laissait toujours s’exprimer le plus grand des optimismes et en même temps un sens très aigu des intérêts des Grands de sa cour. Son grand argentier lui glissait des conseils très-avisés pour faire prospérer les fortunes des seigneurs et son chef de la milice le secondait avec une dévouement sans bornes, tandis que ses spadassins castagnaient en toute impunité les vilains opposants mal inspirés. Un jour, il advint en ce beau pays, qu’un horrible virus, importé, selon la propagande, de pays par-delà le grand océan, commença à se diffuser impunément dans la population des villes orientales. Mac Machin décida de traiter ce pseudo-péril avec le plus grand des mépris : ce ne sont pas les petites bêtes qui tuent les grosses expliqua-t-il à ses sujets : «  j’ai pris l’attache des plus grands savants, ils sont formels : toute protection est parfaitement inutile, il serait coupable d’imiter nos voisins peu inspirés qui s’imaginent que des masques (pff!) des tests (absurde!) contribueraient à endiguer la pandémie. Aussi n’aurai-je qu’un seul conseil : restez chez vous et allez voter! »

Ce discours en laissa quelques-uns (des têtes brûlées, sans doute) plutôt perplexes tandis qu’une partie importante de la population allait exercer avec civisme son droit de vote…

Les jours passaient, les malades se déclaraient et  tous ne réussissaient pas à comprendre ou à mettre en œuvre les recommandations des autorités alors que les astrologues, les chamanes et les devins, à force d’observer le cours des planètes, le vol des oies sauvages et le marc de café, commençaient à émettre des avis contradictoires. Et même, un hurluberlu d’une province méridionale clamait à qui voulait l’entendre qu’il possédait un remède imparable que le Mestre Général refusait de valider. Donnez-en avec l’extrême-onction fut la consigne de ces temps troublés, pour le reste faisons confiance au savoir-faire de nos mestres habitués à se dévouer depuis toujours au service de la population; les princes voisins nous envient leur habileté, leur réputation de grands confectionneurs de potions et d’onguents. Hélas, Mac Machin semblait avoir oublié qu’il avait supprimé tant d’hospices, tant de lazarets, tant de Charités, tant d’Hôtels-Dieu, au cours des brèves années de son règne…

Il allait, répétant sur les places publiques, que Dieu y pourvoirait et que du moment que le commerce persistait, notre beau pays serait sauvé. Cependant, la peur peu à peu gagnait villes et campagnes, chacun se méfiait de son voisin, et des laissez-passer devinrent obligatoires par décret pour tous les déplacements. 

Le peuple, habituellement patient, commençait à gronder et se mit à lire, grâce aux pigeons-voyageurs de petits aphorismes écrits par une jeune pucelle, Gerdaa. Elle y disait que le monde connu courait à sa perte et qu’il était encore temps d’agir en considérant ce signe envoyé par le ciel : le virus pouvait être combattu et il allait permettre de transformer le monde!

Sa parole se répandait comme traînée de poudre : elle affirmait qu’il suffisait de réorganiser les marchés, les étals et les fabrications pour que plus jamais ne se développent de virus aussi inquiétants. Elle réussissait à échapper à la milice car citadins et campagnards la protégeaient où qu’elle se rende. On la nourrissait, on la cachait, on favorisait ses déplacements, on diffusait ses messages. Peu à peu, le peuple de Nowaire, se sentit solidaire de la jeune fille et embrassa ses idées tout en mettant en œuvre, clandestinement, le traitement du savant méridional, échappant ainsi à une maladie grave ou même à la mort. Mac Machin et ses conseillers, méprisant les prescriptions qui auraient pu les sauver, sombrèrent les uns après les autres dans la maladie, ce qui accéléra leur disparition de la place publique. Gerdaa, entourée de sympathisants de plus en plus nombreux, remit le pouvoir à des citoyens tirés au hasard, en charge d’élaborer de nouvelles règles pour la prospérité et le bonheur de leur beau pays, devenant ainsi un modèle pour toutes les autres principautés de la planète.

Alix