Un champ de violettes

Il était une fois une jeune fille prénommée Violette.

Violette était née dans une famille de bergers dont les ancêtres vivaient depuis longtemps déjà  sur cette île lointaine, au milieu des flots turquoises de l’Océan.

La fillette, enfant pleine de vie, gaie et pleine d’esprit, consacrait le temps où elle gardait les chèvres dans les collines, en dehors du temps de l’école, à chanter, danser, et aussi à observer la nature exubérante qui l’entourait, aussi bien les plantes, qu’elle cueillait, et dont elle faisait des décoctions, des cataplasmes pour soigner ses chèvres, et bien sûr tous les animaux, mammifères, oiseaux, insectes, batraciens qui vivaient avec et autour d’elle.

Chaque soir, à son retour chez ses parents, elle faisait des sachets de plantes ramassées en chemin, notait ses observations, ses recettes, ses remèdes et les réactions qui suivaient, pour les améliorer. Elle consignait également des remarques sur toutes ses trouvailles, mais aussi les bribes de chanson qu’elle inventait, qu’elle accompagnait de dessins très beaux.

Très vite ses parents prirent conscience qu’elle avait un don pour soigner, hommes, femmes, enfants, animaux.

Un jour, ceux-ci réunirent  le conseil de famille, et discutèrent d’une décision à prendre pour envoyer la jeune fille de 16 ans étudier sur le continent.

L’opposition de la grand-mère était radicale . Autour de la table se murmurait :  

« La pauvre, elle n’a plus tous ses esprits !… » 

 Elle insistait : « Même si on n’est plus en  68.. je crois toujours dans tous les principes et modes de vie très libres, mais ne voyez-vous pas que le départ de ma petite fille pour Vilétouf , c’est un crime pur et simple ! »

 Une ville universitaire, où, d’après elle, la petite courrait mille dangers . La frénésie de la vie dans un monde axé sur l’argent, la consommation, la hâte, l’individualisme, le productivisme….risquait d’anéantir l ‘adolescente, qui n’y avait jusqu’alors pas été exposée.

Alors on laissa le choix à Violette. 

Celle-ci murmura timidement : « Je pars,  c’est décidé.je vais m’inscrire à la grande Académie de Médecine de la ville. Là, j’apprendrai un métier qui permet  de soigner, guérir les gens. »

Elle s’installa dans le petit appartement surpeuplé de sa chaleureuse tante, et avec l’aide de tous, du plus petit au plus grand, elle se mit à fond dans les études .

Son cursus brillamment mené, elle commença à exercer la médecine au service des urgences de l’hôpital de la banlieue déshéritée de Mochbigny ; mais,cela ne lui  suffisait pas, elle se joignit à une équipe de recherche, qui travaillait sur les maladies infectieuses.

C’est alors que Viletouf, puis le continent tout entier, puis les continents avoisinants, puis le monde entier furent attaqués par un virus mortifère, implacable, qui provoqua la mort de millions de personnes, en commençant par les plus faibles, les personnes âgés, les malades, les sans abris, les déplacés, les zones surpeuplées, les plus pauvres, le coronavirus….

Dans un premier temps, le gouvernement avait  nié la gravité de la situation. Ensuite, quand les cas mortels se multiplièrent, il mit en place des mesures de  quarantaine des personnes infectées, qui toussaient à perdre haleine jusqu’à étouffer dans leur coude – car c’est là qu’on leur avait intimé l’ordre de tousser – mais continua à refuser de distribuer des masques de protection nécessaires pour éviter d’être contaminé par les gouttelettes sortant des nez et bouches des personnes infectées, ceci  pour économiser sur les budgets santé . 

D’ailleurs, ils en  avaient réduit les stocks, qui faisaient cruellement défaut, et pire encore, on manquait aussi de lits, de soignants, et on avait même fermé, peu de temps auparavant des hôpitaux, des gares, des bureaux de poste ! Bien sûr, on ne soigne pas dans les gares, ni dans les postes, mais toutes ces pseudo économies, au détriment de la population…Cela devait mal tourner.

Or cette pandémie s’ajoutait aux catastrophes naturelles en train de dévaster la terre, climat déréglé, tsunami, pollution…

La folie des puissants, leur besoin de toujours plus et plus vite d’argent, de biens de consommation  et de pouvoir, sans une pensée pour les populations pauvres délaissées, oubliées, exclues, dévastées se révélaient alors sous son grand jour.

Violette, épuisée par les soins à apporter aux patients de plus en plus nombreux, de plus en plus atteints, et de tous âges et conditions sociales, passait ses quelques moments de libres auprès des chercheurs de l’hôpital . Elle ne perdait pas espoir, elle sentait  qu’elle pouvait contribuer à trouver une solution . Elle se souvint de la façon dont elle avait sauvé le troupeau de chèvres, alors que 2 d’entre elles étaient mortes atteintes par un mal étrange. Elle ne perdait pas espoir. 

Elle se fit  envoyer de son île  tous ses cahiers remplis de notes et sa valise contenant  des centaines de petits sachets de plantes et graines annotés.

Au bout d’un mois de tests, les 3 laboratoires universitaires avec lesquels elle avait élaboré  et vérifié les résultats des molécules qu’elle avait isolée, identifiées comme un remède radical, conçu à partir de plantes qu’elle avait récupérées de son île, son service se mit à administrer avec succès ce remède,  à des patients très atteints comme à des patients zéro. 

On appela Violeta ce nouveau médicament, qui non seulement guérissait les malades, mais n’avait pas d’effets secondaires.

La Jeune Fille devint une personnalité du monde des sciences. 

Sa réussite déclencha  des passions dans la population, mais aussi  chez les industriels avides, qui voulaient récupérer le secret de la composition de ce produit, et le lieu où on trouvait les éléments pour le fabriquer.

Les puissants de ce monde, en train de s’écrouler, essayèrent de toutes leurs forces d’apprivoiser Violette, de l’associer à leurs affaires, à leurs projets. Les patients guéris, les gens du pays se mirent à l’encenser, à l’aduler, à l’inviter à se mettre à la tête du pays, à les diriger.

Elle décida alors de s’exprimer à la télévision un soir de grande écoute.

« Chers amis du monde entier,  le virus qui a failli anéantir la vie sur Terre est né d’une part du fait des mauvais traitements que l’on inflige à la terre depuis plus d’un siècle, ainsi qu’aux autres ressources naturelles dont nous avons tous besoin, l’eau et l’air, et, d’autre part, des inégalités terrifiantes qui divisent les humains du fait de l’avidité de certains qui s’approprient le bien commun !»

Elle présenta sa vision d’une société où les rôles et les pouvoirs sur les droits et les devoirs étaient gérés en petites entités, avec des coordinations, par roulement, au niveau régional et international, sur la base du respect des êtres humains, des animaux et de la nature.

Elle termina en annonçant qu’un comité constitué de bénévoles de la Fonction Publique, professeurs, cuisiniers , chauffeurs de transport en commun, éboueurs, caissières se préparait à diffuser gratuitement l’information et les moyens dans tous les pays pour s’équiper contre cette maladie. Espérons qu’elle aura été entendue …

De son côté, elle est repartie vivre sur son île.

Huguette, 30 mars 2020