Rosalie

Il était une fois un pays du nom de Ruetanidro. Nombreux étaient ceux qui l’avaient visité. A différentes époques. Les plus anciens parlaient d’un lieu avec une large colline à l’arrière, les plus jeunes le connaissait plus plat. Le temps avait érodé le paysage.  On parlait de l’effet cluster. Les artisans du village, réputés jusque dans l’Orient, avaient appris à façonner des formes graphiques et réduites grâce à des composants nouveaux. On allait au plus simple sans oublier l’esthétique. Le plus ancien habitant, appelé habitant zéro en raison de l’invention indienne du chiffre mais qui avait bel et bien existé, avait planté le premier bit. Puis deux. Un noir et un blanc. Ces derniers s’étaient multipliés par milliards et étaient devenus colorés et très mobiles. L’un de ceux-ci, plus hardi, décida de quitter   Ruetanidro. Et tout se détraqua. 

Les fils et petits-fils de l’habitant zéro ne surent ou purent le retenir. Tous les habitants, en manque d’un bit, voyaient trouble. Tous avaient des yeux rouges tendance lapin. On dut installer des barrières pour retenir les chutes et leur apprendre les gestes simples pour contourner les obstacles. Les pictogrammes devaient être refaits chaque jour de plus en plus gros.  Comme ZU pour zone urbaine en police 555 à l’entrée. On somma les habitants de retrouver le bit échappé par tous les moyens. Le standard du coroner le chef de la police (qui ne portait pas couronne mais casquette), explosa. La récompense était alléchante. Un faussaire, vite démasqué, avait même utilisé une imprimante en 3 D pour tenter de reconstituer un bit. Un autre avait bricolé dans son garage un bit avec une queue de poêle à frire et une touche de piano. L’idée, séduisante sur le papier, n’avait pas permis dans les faits de rétablir la chaîne des bits. Une partie de la population s’était réfugiée sur le Titanic, mal leur en a pris, il coula aussi sec au pôle Nord en raison de l’onde contraire. Dans le village l’inquiétude grandissait, le bit fugueur avait laissé un trou tel qu’un virus avait pu s’engouffrer dans le système. Norton, Kaspersky, Avast et quelques autres spécialistes de la sécurité furent appelés en urgence. Leurs conclusions ne convergeaient que sur un seul point : ce virus était inconnu de leurs services. Les habitants ne devaient plus cracher ni se moucher. Ils devaient s’écouvillonner les oreilles tous les jours, parler dans le micro et laver leurs touches.  Ils se prêtaient de plus ou moins bon gré à cette discipline.

C’est Rosalie qui apporta la solution. Alors qu’elle lavait son linge sur une tablette comme à son habitude, elle décida de la démonter et d’en baigner les composants dans une solution savonneuse sans oublier les pouces. Elle sacrifia, exercice ancien chez les femmes, un des éléments de sa tablette, puis greffa le bit savonné sur le plot général de Ruetanidro. La ville recouvra tout son lustre et le vaguemestre, d’un coup d’épaule, retourna la pancarte à l’entrée, où l’on put, enfin, lire à l’endroit le nom du lieu : « Ordinateur ». 

Josiane