Il était une fois un pays blanc dont les collines enneigées aimaient attraper les couleurs du ciel délicatement : bleu quand le soleil brillait, gris quand les nuages flottaient, doré les soirs de soleil couchant et mauve au petit matin.
Les habitants d’Utopia, c’est le nom de ce pays, vivaient chacun dans sa bulle, ne voyant l’horizon qu’avec des yeux de myope. Pris par de petits plaisirs égoïstes ou un travail harassant, ils réfléchissaient peu, ils n’avaient pas le temps ou pas l’envie. Certains parfois se réunissaient pour échanger, résister, lutter. Mais le monde tournait ainsi, aucun rouage ne semblait assez grippé pour que cela s’arrête.
Jusqu’au jour où la planète entière s’immobilisa. On avait appuyé sur la touche “pause“ ! Un terrible virus, soudain, en quelques semaines, progressait d’est en ouest : le korona. Une épidémie, devenue pandémie, prit possession des lieux. Une invasion invisible, un ennemi ambulant se répandait sans différencier les pauvres des puissants, les jeunes des vieux.
L’on appliqua un confinement à toute personne non nécessaire, des gestes barrières furent imposés et le silence enroba les rues des villes.
Du haut de ses 30 ans, Adélaïde entra, comme chaque jour, dans le service des maladies infectieuses de l’hôpital de Hongsvag, attacha ses épais cheveux acajou, enfila blouse, gants et masque, et commença une longue journée de travail. En quinze jours la région était devenue un important cluster, après Svaersund et Tusbjord. Si rien n’était fait rapidement, ce n’était pas seulement tout le pays qui serait infecté mais la Terre entière ! Le matin, au réveil, Adélaïde repassait sa journée de la veille en boucle et se demandait jusqu’où cela irait.
Mais ce jour-là, elle appela sur skype son amie Leïla, elle aussi infirmière, qui vivait dans le sud depuis cinq ans pour prendre de ses nouvelles. Un premier appel resta sans réponse, dix minutes plus tard la communication se fit : “Clique sur la caméra Leïla, j’te vois pas“.
Mais alors, alors… L’écran soudain se remplit d’une image incroyable : Un corps de femme aux vingt bras (oui, Adélaïde les compta, il y en avait vingt) était en train de s’asseoir face à l’ordinateur et regardait fixement droit devant, découvrant en même temps le visage d’Adélaïde tendu de stupeur. “N’aies pas peur, je suis moche et bizarre mais je suis là pour ton bien et celui de l’humanité entière. Je m’appelle Timone, la déesse aux vingt bras, et mon miroir t’a désignée pour aller trouver le patient zéro, le rapatrier en Utopia pour que nous puissions analyser ses gouttelettes respiratoires et trouver le vaccin anti-korona et autres virus de la même famille. Tu devras traverser moult épreuves mais pour t’aider dans cette quête, tu dois te rendre chez la fée Seyrig, elle te donnera un tambour magique qui saura écarter les super propagateurs de ton chemin afin de ne pas te retrouver en quatorzaine dans quelque contrée lointaine.
Adélaïde se rendit dans le jardin des secrets, elle reconnut Seyrig immédiatement, sa robe lilas, son collier d’étoiles scintillantes et son regard charmeur mais n’oubliant pas les gestes barrières, elle s’installa derrière la petite table rouge à un mètre de la fée. Elles prirent un thé protecteur tout en discutant de la situation. Seyrig la mit en garde contre les éventuelles rencontres maléfiques, comme les asymptomatiques qui n’avaient pas l’apparence de ce qu’ils étaient ou les trolls qui diffusaient de fausses informations.
Adélaïde, parée de sa blouse blanche et du tambour magique, enfourcha sa bicyclette, seul moyen de se déplacer sans risque et partit pour de nombreux jours de recherche. Ce qu’elle fit, où elle arriva, comment elle trouva et quand, nul ne le saura jamais. Mais grâce à son courage, on put stopper la pandémie avant que le monde ne devienne un désert mortel et stérile.
Et pendant le confinement général, les gens avaient eu le temps de réfléchir à leur condition de mortels mais pas seulement. Car depuis cette époque, Utopia et la Terre entière ont changé leurs comportements, la transition écologique ayant finalement aboli le système capitaliste et fait renaitre les solidarités. Le collectif changea nos façons de vivre, de travailler, de consommer.
Et les soirs de pleine lune, on peut encore voir le ciel irisé de blanc, et des gens danser, chanter et applaudir aux fenêtres ouvertes…
Sylvaine, 27 mars 2020