Texte de Philippe Triphon

Atelier d’écriture du 17/09/2023 au Palais de la Femme à l’occasion des Journées du Patrimoine (Matrimoine) et du 150ème anniversaire de la naissance de Colette

Je t’ai vue, toi. Que fais-tu là ? Pourquoi me provoques-tu avec cette liberté que tu affiches ainsi éhontément, insolemment, sans égard pour moi qui tourne en rond dans ma cellule ? Ne vois-tu pas ma situation ? Ne vois-tu pas ce que tes congénères ont fait de moi, faisant fi de mon aspiration naturelle à aller comme bon me semble dans ma savane africaine ? Ils m’ont piégée un jour chez moi là-bas pour m’enfermer dans cette cage ici, loin des miens. Pourquoi est-ce que toi, tu pavoises, libre de marcher ainsi à ta guise, sans entraves quand moi, je ronge mon frein dans cet espace exigu et contraint ? De quel destin contraire ai-je été frappée pour vivre pareille avanie ?
J’en crève d’être ainsi retenue contre mon gré dans cette prison, objet des regards curieux, intrusifs voire amusés de ces balourds badauds, moi qui n’aspire qu’aux grands espaces. Ne sais-tu donc pas que je suis de royale lignée et que c’est un sempiternel camouflet, une insulte de chaque instant pour moi que d’être ainsi affichée, exposée en permanence aux yeux de ces manants.
Je t’ai vue, toi. En essence, nous sommes semblables. Chacune, à sa manière, assoiffée et éperdue de liberté. Mais toi, tu es, me semble-t-il, née sous des cieux plus propices puisqu’à l’évidence, tu vas et viens à ta guise et n’as d’autres chaînes que ta seule gouverne.

Ô toi, noble lionne, ne me fais, je t’en supplie, aucun reproche et ne présume pas de ma liberté apparente. Je suis femme dans un monde d’hommes et c’est une prison également même si les barreaux en sont moins apparents, moins physiquement prégnants que la tienne. Cette manière que j’ai d’aller comme bon me semble, de faire ce qui me sied et me plaît, je l’ai acquise de longue lutte et j’en paie chaque jour le prix fort. Dans ce monde d’hommes, je suis autrice. J’écris. C’est généralement une activité réservée au sexe fort, du moins à ceux qui s’en proclament. De m’être ainsi piquée d’écrire et d’être lue fait de moi une sorte de créature étrange, lourde de menaces et, de fait, une paria. Les hommes voudraient me faire payer mon impudence, cet aplomb coupable que j’ai manifesté à aller sur leur domaine réservé. Alors, tu vois, tu n’as aucune raison valable de me blâmer simplement parce que, en apparence, je serais de l’autre côté de la barrière. Si je le pouvais, dans l’instant, j’ouvrirais la porte de ta geôle mais quelqu’affranchie que je sois de certains codes, certaines contraintes sociales, te libérer n’en demeure pas moins hors de mon pouvoir. Comprends-le bien, nous sommes mêmement victimes, toi et moi, de cette férule des hommes. Je la combats à ma mesure chaque jour mais c’est une lutte qui n’engrange pas de victoires durables, définitives, acquises et je dois m’y atteler de manière sans cesse réitérée. Il ne m’est pas possible de t’élargir de ta cage aujourd’hui mais, en sororité, je bataille quotidiennement avec pugnacité et opiniâtreté pour que toutes nos semblables conquièrent pied à pied un peu plus de liberté, qu’elles s’affranchissent de leurs liens, pour exposer au grand jour le joug de nos communs bourreaux. A ma mesure, comme toi, je rugis et montre les dents face à tous ceux qui s’acharnent à nous brider, nous réduire, nous asservir mais je ne remporte, en cela, que des succès relatifs et encore trop timorés à mon goût. J’enrage de ne pas pouvoir en faire davantage et j’enrage de te voir toi, ainsi enfermée, humiliée, livrée à la curiosité malsaine et impudique des hommes. Je suis consciente de ce que mes mots sont de piètres baumes à ta légitime fureur mais sache-le, je t’admire de toute mon âme de garder ainsi, intactes, inébranlables, inextinguibles, ta noblesse, ta fierté et ton esprit de rébellion. Ce sont là nos armes, les munitions dont jamais nous ne sommes à court, nous les infatigables guerrières, pour soutenir ce long combat que nous menons pour la juste cause qu’est notre LIBERTE !

Mardi 22 Novembre 2022

Mardi 22 Novembre 2022

« C’est le jour de mes quinze ans et mes parents m’ont emmenée à la mer. C’était une longue préparation, je les avais vus s’activer, remplir des sacs de voyage, j’avais surpris leurs conciliabules, qui s’arrêtaient brusquement quand ils s’apercevaient que j’étais là et que je pouvais les entendre. Et, le matin du grand jour, j’étais toujours censée ne rien savoir, mais ils ont déposé devant moi, sur la table du petit déjeuner un charmant paquet de soie bleue enrubanné. Et quand je l’ai ouvert, je n’ai pas bien compris à quoi pouvait servir ce joli sous-vêtement jaune pâle. Ce n’était ni une culotte, ni un soutien-gorge, mais les deux à la fois, reliés en une seule pièce. Je l’ai déballé tout en les regardant avec des yeux interrogateurs qui les ont fait éclater de rire.